À
dix-huit ans, j’ai connu un merveilleux jeune homme, qui est devenu mon petit
ami. On allait faire du patin, prendre des marches, manger des frites au resto
du coin, danser. On regardait la télé près assis l'un près de l'autre, ma main dans la
sienne. Ma mère nous surveillait , elle fatiguait. Elle me disait parfois
"décollez-vous". C'était pourtant une relation saine, et un amour pur
et platonique. On n’a jamais fait l'amour ensemble, et ça, aujourd'hui, je
le regrette. Il me respectait parce qu'il m’estimait
beaucoup. Il était fier de sa "blonde" et c'était
réciproque. Lorsque je me retrouvais dans
sa famille, je me sentais en
confiance, acceptée, respectée. Ils formaient une famille "normale" où
je me sentais comme dans un cocon. J'ai été heureuse pendant les 18
mois qu'a durée notre relation.
Puis, un jour, ma mère m'a dit: "votre relation devient trop sérieuse; il ira à l’université et il va rencontrer des filles plus instruites que toi. Il te laissera et tu vas souffrir". Qu’est-ce qui lui donnait l’absolue conviction que ça se passerait ainsi? Et pourquoi des filles plus instruites aurait d'emprise sur lui? J'étais une personne intelligente, jolie, soignée. J'ai fini par me laisser contaminer pas ses prédictions et son manque de confiance en moi et j’ai rompu avec lui. Dieu sait que j’ai souffert. J’ai connu l’angoisse profonde qui me submergeait jusqu'à presque m’évanouir. J’avais le cœur en lambeaux, qui débattait de façon effreinée. J'entrais dans un processus de deuil et la douleur était intense, insoutenable. Je pleurais, j’avais des nausées, le vertige: le monde semblait s’ouvrir sous mes pieds pour m’engloutir, ce qui aurait été une délivrance tellement j’avais mal. Il n’est pourtant pas allé à l’université, mais au CEGEP. Il a été la plus belle chose que la vie m’ait octroyée. Quand on étaient ensemble lui et moi, j'oubliais le malaise qui m'habitait, la famille qui me rendait malheureuse et j'avais l'espoir que ma vie ne serait pas toujours difficile, que je méritais d'être aimée.
Je me suis mariée à 25 ans avec un type moyennement intelligent, moyennement sensible, moyennement intéressant, avec lequel je n’avais aucune affinité. L’union durera 15 ans. Je n’ai pas connu le bonheur dans ce mariage. Je subissais cette vie parce que je pensais que je ne méritais pas mieux. Je n’avais pas eu la chance de construire une saine estime de moi, puisque je n'avais connu que la dévalorisation.
41 ans
Plusieurs années plus tard, une tante me dira qu'à mon mariage bien des gens se demandaient comment une jeune fille si intelligente et si belle pouvait se contenter d'un gars de si peu d'envergure. Ma mère n'a jamais manifesté d'importance à ce fait. Ça aurait pourtant le moment de me ramener à la réalité.
Quelques années après mon mariage, alors que j’étais chez ma sœur aînée, elle me dit qu’elle a appris de ma mère, qui lui avait demandé de ne pas m'en parlé, que mon Y... s’était marié. J’ai accusé le coup, mais j'ai reçu un coup de poignard au coeur. Il n’était plus libre… Je l’avais perdu à jamais.
Nicole Ferland
Québec, le 12 mars 2014